Libre
« Être libre, ce n’est pas faire n’importe quoi ; c’est aller jusqu’au bout de chaque chose. »
Paul Rebeyrolle
“Art is a free space in society where anything is possible.”
« L’art est un espace libre de la société où tout est possible. »
Chris Burden
“There is no such thing as Art; there are only artists.”
« Il n’y a pas vraiment d’Art ; il n’y a que des artistes. »
E.F. Gombrich
Est-il curieux de citer, dans le contexte d’une exposition de peinture non figurative et non conceptuelle, des mots d’artistes que l’on n’admire pas particulièrement et qui sont, en outre, résolument non abstraits ? Pas vraiment, les pensées ci-dessus sont toutes intemporelles (écrites il y a 30 ans ou plus) et valables au-delà de toute orientation esthétique. Chacune exprime une idée utile de la liberté artistique, sans restreindre la définition de l’art. Ensemble, elles dégagent une sorte de complémentarité circulaire. À la lumière des mots de Rebeyrolle, il devient encore plus clair que le « tout est possible » de Chris Burden ne propose pas forcément que « tout est admissible ». Burden, à son tour, nous amène à comprendre autrement Gombrich pour qui l’art, en tant qu’acte en constante évolution, est a priori non-définissable. Cependant, Rebeyrolle nous rappelle que dans l’espace libre de Burden, la rigueur s’impose…
J’affiche ces phrases au mur de mon atelier pour rappeler que l'art contemporain, sous toutes ses formes, offre une liberté d'expression sans précédent, qui est un atout dès que l'on est prêt à relever le défi de ses possibilités infinies.
En ce qui concerne ma pratique picturale, la liberté d’aller jusqu’au bout a toujours été liée à la quête perceptuelle ou pensée visuelle. Pas des idées autour de la chose, mais la chose elle-même. La peinture en tant que possibilité et non comme positionnement. Pas de politique, ni de sociologie, ni d’ironie. Je peins dans l’espace transitif entre percevoir et dire, le passage infraverbal où le bruit blanc de sensation, d’émotion, de mémoire et d’intuition commence à infiltrer la conscience en abordant la cognition. Ma préoccupation de base est la clarté : la précision muette de l’expression possible au sein de l’espace non verbal de la peinture. Le processus d’élucidation ne cherche en rien la certitude et, en fait, met en jeu toute une gamme de polarités : geste/géométrie, libre jeu/contrôle, présence/absence, expansion/compression, immédiateté/durée, proximité/distance, vitesse/lenteur, force/fragilité, légèreté/densité, différence/similarité, désir/répulsion parmi bien d’autres. Le défi de transformer ces tensions en analogies visuelles ne consiste pas à en éliminer l’ambiguïté par une résolution des contradictions, mais à cristalliser la vitalité de leurs interactions.
Trouver la forme idoine à ses impulsions artistiques n’est pas toujours un parcours facile. Heureusement, je prends du plaisir dans la persévérance, qui peut devenir par ailleurs une entreprise un peu perverse. Les peintures présentées dans cette exposition manifestent le défi particulièrement ardu que je me suis posé en retravaillant presqu’exclusivement des œuvres non achevées (ou parfois non satisfaisantes) afin d’en récupérer les qualités. Auparavant, je peignais le plus souvent à partir d’études numériques issues d’assemblages de fragments de mes œuvres, produisant une gamme de « généalogies » associant librement leur ADN. Ici, j’ai travaillé chaque œuvre indépendamment, sans connexions évidentes de l’une à l’autre. Cette démarche est plus lente, moins directe que d’agir à partir des études, même si j’ai gardé l’habitude de revoir chaque étape en numérique. L’exercice a été révélateur. Aborder un espace déjà occupé (par une peinture précédente) m’a rapprochée plus que jamais d’une de mes préoccupations fondamentales : montrer la question de l’espace.
La peinture est pour moi un état d’esprit autant qu’un processus et un processus autant qu’un objet. Ainsi, je pense mes peintures comme amalgames des noms et des verbes — des objets et des actions — qui dégagent, je l'espère, un sens en même temps d'être et de devenir. Retravailler mes œuvres, à l’occasion de cette exposition, m’a permis de réaffirmer cette conviction en me rappelant à quel point la rigueur s’impose au cours d’une exploration libre.
Susan Cantrick, avril 2015
Free
“Being free does not mean doing any old thing ; it means going to the heart of the matter.”
Paul Rebeyrolle
“Art is a free space in society where anything is possible.”
Chris Burden
“There is no such thing as Art; there are only artists.”
E.F. Gombrich
Is it odd, in the context of an exhibition of painting that is neither figurative nor conceptual, to cite the ideas of two resolutely non-abstract artists whom I don’t even admire all that much? Not really, at least not in the case of the above thoughts which are all timeless (written 30 or more years ago) and valid beyond any particular esthetic orientation. Each expresses a useful notion of artistic freedom that steers clear of any narrow definition of art, and taken together the three evince a kind of circular complementarity. In light of Rebeyrolle’s words, it’s all the more clear that Burden’s “anything is possible” does not necessarily mean “anything goes.” And Burden, in turn, puts Gombrich in a different light: art, as an act in constant evolution, is a priori undefinable. But, Rebeyrolle warns, in Burden’s free space, rigor is de rigueur…
I keep these thoughts on the wall in my studio as a positive reminder that now is as good a time as ever to be an artist, so long as one is willing to meet the challenge implied by today’s seemingly boundless freedom.
In terms of my practice as a painter, getting to the heart of the matter in my own free space has always had to do with perceptual inquiry, or visual thinking. Not ideas about the thing but the thing itself. Painting as possibility rather than a stance. No politics, no sociology, no irony. I paint in the transitive space between sensing and saying, the sub-linguistic passage where the white noise of sensation, emotion, memory, and intuition filters into consciousness, mingling on the verge of cognition. My fundamental concern is visual clarity: the mute precision of expression possible within painting’s non-verbal space. The process of elucidation has nothing to do with seeking certitude and, in fact, brings into play a host of polarities – gesture/geometry, free-play/control, presence/absence, expansion/compression, immediacy/duration, proximity/distance, speed/slowness, strength/fragility, lightness/density, difference/similarity, desire/repulsion, etc. The challenge of transforming these tensions into visual analogs is not to eliminate ambiguity by smoothing out the contradictions but to crystallize the vitality and complexity of their interaction.
Finding the right form for one’s artistic impulses is more often than not an obstacle course. Fortunately, I take pleasure in the perseverance, which could otherwise become a somewhat perverse enterprise. The paintings presented in this exhibition evince the particularly arduous challenge I set for myself of returning to previously unfinished (or in a few cases, unsatisfactory) works in order to salvage their qualities. Whereas previously I’d tended to paint from digital studies derived from my own work (resulting in a gamut of promiscuous “genealogies” in which nearly all paintings have some common DNA), here I’ve proceeded painting by painting, without any obvious interconnections from one work to the next. Working this way has been much slower and less direct than painting from studies, even though I’ve permitted myself the habitual freedom of revising numerically at each stage. The exercise has been revelatory. Confronting a space already occupied (by a previous painting) has brought me closer to understanding one of my basic preoccupations: showing the question of space.
Painting is, for me, as much a state of mind as a process, and as much a process as an object. So I think of my paintings as amalgams of nouns and verbs – objects and actions -- that project, I hope, a sense of both being and becoming. Reworking my paintings on the occasion of this exhibition has reaffirmed that conviction, while reminding me how indispensable rigor is to exploratory freedom.
Susan Cantrick, April 2015
« Être libre, ce n’est pas faire n’importe quoi ; c’est aller jusqu’au bout de chaque chose. »
Paul Rebeyrolle
“Art is a free space in society where anything is possible.”
« L’art est un espace libre de la société où tout est possible. »
Chris Burden
“There is no such thing as Art; there are only artists.”
« Il n’y a pas vraiment d’Art ; il n’y a que des artistes. »
E.F. Gombrich
Est-il curieux de citer, dans le contexte d’une exposition de peinture non figurative et non conceptuelle, des mots d’artistes que l’on n’admire pas particulièrement et qui sont, en outre, résolument non abstraits ? Pas vraiment, les pensées ci-dessus sont toutes intemporelles (écrites il y a 30 ans ou plus) et valables au-delà de toute orientation esthétique. Chacune exprime une idée utile de la liberté artistique, sans restreindre la définition de l’art. Ensemble, elles dégagent une sorte de complémentarité circulaire. À la lumière des mots de Rebeyrolle, il devient encore plus clair que le « tout est possible » de Chris Burden ne propose pas forcément que « tout est admissible ». Burden, à son tour, nous amène à comprendre autrement Gombrich pour qui l’art, en tant qu’acte en constante évolution, est a priori non-définissable. Cependant, Rebeyrolle nous rappelle que dans l’espace libre de Burden, la rigueur s’impose…
J’affiche ces phrases au mur de mon atelier pour rappeler que l'art contemporain, sous toutes ses formes, offre une liberté d'expression sans précédent, qui est un atout dès que l'on est prêt à relever le défi de ses possibilités infinies.
En ce qui concerne ma pratique picturale, la liberté d’aller jusqu’au bout a toujours été liée à la quête perceptuelle ou pensée visuelle. Pas des idées autour de la chose, mais la chose elle-même. La peinture en tant que possibilité et non comme positionnement. Pas de politique, ni de sociologie, ni d’ironie. Je peins dans l’espace transitif entre percevoir et dire, le passage infraverbal où le bruit blanc de sensation, d’émotion, de mémoire et d’intuition commence à infiltrer la conscience en abordant la cognition. Ma préoccupation de base est la clarté : la précision muette de l’expression possible au sein de l’espace non verbal de la peinture. Le processus d’élucidation ne cherche en rien la certitude et, en fait, met en jeu toute une gamme de polarités : geste/géométrie, libre jeu/contrôle, présence/absence, expansion/compression, immédiateté/durée, proximité/distance, vitesse/lenteur, force/fragilité, légèreté/densité, différence/similarité, désir/répulsion parmi bien d’autres. Le défi de transformer ces tensions en analogies visuelles ne consiste pas à en éliminer l’ambiguïté par une résolution des contradictions, mais à cristalliser la vitalité de leurs interactions.
Trouver la forme idoine à ses impulsions artistiques n’est pas toujours un parcours facile. Heureusement, je prends du plaisir dans la persévérance, qui peut devenir par ailleurs une entreprise un peu perverse. Les peintures présentées dans cette exposition manifestent le défi particulièrement ardu que je me suis posé en retravaillant presqu’exclusivement des œuvres non achevées (ou parfois non satisfaisantes) afin d’en récupérer les qualités. Auparavant, je peignais le plus souvent à partir d’études numériques issues d’assemblages de fragments de mes œuvres, produisant une gamme de « généalogies » associant librement leur ADN. Ici, j’ai travaillé chaque œuvre indépendamment, sans connexions évidentes de l’une à l’autre. Cette démarche est plus lente, moins directe que d’agir à partir des études, même si j’ai gardé l’habitude de revoir chaque étape en numérique. L’exercice a été révélateur. Aborder un espace déjà occupé (par une peinture précédente) m’a rapprochée plus que jamais d’une de mes préoccupations fondamentales : montrer la question de l’espace.
La peinture est pour moi un état d’esprit autant qu’un processus et un processus autant qu’un objet. Ainsi, je pense mes peintures comme amalgames des noms et des verbes — des objets et des actions — qui dégagent, je l'espère, un sens en même temps d'être et de devenir. Retravailler mes œuvres, à l’occasion de cette exposition, m’a permis de réaffirmer cette conviction en me rappelant à quel point la rigueur s’impose au cours d’une exploration libre.
Susan Cantrick, avril 2015
Free
“Being free does not mean doing any old thing ; it means going to the heart of the matter.”
Paul Rebeyrolle
“Art is a free space in society where anything is possible.”
Chris Burden
“There is no such thing as Art; there are only artists.”
E.F. Gombrich
Is it odd, in the context of an exhibition of painting that is neither figurative nor conceptual, to cite the ideas of two resolutely non-abstract artists whom I don’t even admire all that much? Not really, at least not in the case of the above thoughts which are all timeless (written 30 or more years ago) and valid beyond any particular esthetic orientation. Each expresses a useful notion of artistic freedom that steers clear of any narrow definition of art, and taken together the three evince a kind of circular complementarity. In light of Rebeyrolle’s words, it’s all the more clear that Burden’s “anything is possible” does not necessarily mean “anything goes.” And Burden, in turn, puts Gombrich in a different light: art, as an act in constant evolution, is a priori undefinable. But, Rebeyrolle warns, in Burden’s free space, rigor is de rigueur…
I keep these thoughts on the wall in my studio as a positive reminder that now is as good a time as ever to be an artist, so long as one is willing to meet the challenge implied by today’s seemingly boundless freedom.
In terms of my practice as a painter, getting to the heart of the matter in my own free space has always had to do with perceptual inquiry, or visual thinking. Not ideas about the thing but the thing itself. Painting as possibility rather than a stance. No politics, no sociology, no irony. I paint in the transitive space between sensing and saying, the sub-linguistic passage where the white noise of sensation, emotion, memory, and intuition filters into consciousness, mingling on the verge of cognition. My fundamental concern is visual clarity: the mute precision of expression possible within painting’s non-verbal space. The process of elucidation has nothing to do with seeking certitude and, in fact, brings into play a host of polarities – gesture/geometry, free-play/control, presence/absence, expansion/compression, immediacy/duration, proximity/distance, speed/slowness, strength/fragility, lightness/density, difference/similarity, desire/repulsion, etc. The challenge of transforming these tensions into visual analogs is not to eliminate ambiguity by smoothing out the contradictions but to crystallize the vitality and complexity of their interaction.
Finding the right form for one’s artistic impulses is more often than not an obstacle course. Fortunately, I take pleasure in the perseverance, which could otherwise become a somewhat perverse enterprise. The paintings presented in this exhibition evince the particularly arduous challenge I set for myself of returning to previously unfinished (or in a few cases, unsatisfactory) works in order to salvage their qualities. Whereas previously I’d tended to paint from digital studies derived from my own work (resulting in a gamut of promiscuous “genealogies” in which nearly all paintings have some common DNA), here I’ve proceeded painting by painting, without any obvious interconnections from one work to the next. Working this way has been much slower and less direct than painting from studies, even though I’ve permitted myself the habitual freedom of revising numerically at each stage. The exercise has been revelatory. Confronting a space already occupied (by a previous painting) has brought me closer to understanding one of my basic preoccupations: showing the question of space.
Painting is, for me, as much a state of mind as a process, and as much a process as an object. So I think of my paintings as amalgams of nouns and verbs – objects and actions -- that project, I hope, a sense of both being and becoming. Reworking my paintings on the occasion of this exhibition has reaffirmed that conviction, while reminding me how indispensable rigor is to exploratory freedom.
Susan Cantrick, April 2015